Les pouvoirs extraordinaires du galet de la Baie de Somme (80)

Les pouvoirs extraordinaires du galet de la Baie de Somme (80)

Vous pensiez qu’il ne servait qu’à faire des ricochets sur l’eau ? Détrompez-vous ! Le galet, et en particulier celui de la Baie de Somme, peut faire bien plus que cela. Ce n’est donc pas un hasard s’il est au cœur de l’activité économique de sa région. Sur ces côtes des Hauts-de-France on ramasse, trie, transforme et exporte le galet depuis près de deux siècles, bien au-delà des frontières. Sans le savoir, vous le retrouvez ensuite dans votre téléviseur, votre tramway ou sur vos routes… et même dans l’espace. Découvrons ensemble le fabuleux destin du galet de la Baie de Somme !

 

Cayeux-sur-Mer, capitale du galet de la Baie de Somme

 

Bienvenue à Cayeux-sur-Mer (80), petite commune côtière des Hauts-de-France, haut lieu de ce rognon de silex poli par la mer. En effet, le galet de la Baie de Somme génère ici un pôle économique et industriel unique en France. Une success story qui a commencé au milieu du 19ème siècle, au cœur des falaises de craie constituant le littoral, au sud de la commune. Aujourd’hui, l’industrie du galet représente environ 90 emplois locaux, entre Cayeux-sur-Mer et le Hourdel, la commune voisine, sans compter les centaines d’emplois indirects. L’extraction permet l’alimentation de toute la filière : 250 000 tonnes de galets sont extraits chaque année depuis une carrière terrestre pour des utilisations particulières, 55 000 tonnes sont aussi prélevées directement sur l’estran. Environ 3 000 tonnes de galets ronds sont extraits à la main !

La filière est entièrement gérée localement. HeidelbergMaterials est en charge de l’extraction des galets et de la gestion de l’usine du Hourdel, spécialisée dans le tamisage en granulométries fines de galets concassés. À Cayeux-sur-mer, Silmer s’occupe de la calcination des galets. Quant à Vannobel, son activité consiste à trier et calibrer des galets ronds.

 

Le galet de la Baie de Somme : une pure star à travers le monde

 

Mais alors, pourquoi ce petit caillou local fait-il l'objet d'une telle exploitation ? Pour sa pureté des plus rares ! En effet, les galets issus de ce gisement unique en Europe sont constitués à 98,3% de silice. C’est pourquoi le galet de la Baie de Somme est communément appelé « l’or bleu ». De plus, le galet présente un score de 8/10 sur l’échelle de Mohs, l'échelle qui permet de mesurer la résistance et la dureté des minéraux. Il occupe ainsi la 6ème place des minéraux les plus durs, la première étant détenue par le diamant.

Grâce à ses nombreux atouts, le galet de la Baie de Somme est ainsi exporté dans plus de 90 pays

De la falaise à la baie : balaise le galet !

 

« On estime que les galets extraits en carrière ont entre 3 000 et 4 000 ans » précise Laëtitia Paporé, responsable nationale granulats marins pour l’entreprise d’extraction Heidelberg Materials. « Ils proviennent du rognage des falaises normando-picardes par la mer. » En effet, fragilisées par les intempéries, le ruissellement des eaux et les assauts de la mer, ces falaises tombent à l'eau, se dissolvent et libèrent des rognons de silex. Ces silex très durs sont alors poussés par la houle, s’entrechoquent et finissent par s’arrondir au fil du temps pour donner vie à des galets bien ronds, poussés vers le nord par les courants marins à une vitesse d’environ 1 km par an, jusqu’au Hourdel. Aujourd’hui, ce cordon de galets impressionnant s’étend sur 18 km.

 

Choisir le bon galet, un métier de tradition

 

Seul l’œil humain est capable de choisir le bon galet, conforme à son utilisation, en fonction de sa taille, de son arrondi et de sa couleur. Ainsi, quelques heures en matinée, des hommes sondent la côte munis de leur panier, comme le veut la tradition. « Il y a des familles de trieurs de galets » raconte Laëtitia Paporé, « c’est un métier de tradition, physique mais pour beaucoup c’est aussi avoir la mer devant soi tous les jours. » 

Dans les carrières terrestres aussi des trieurs, en majorité des femmes, sont chargés de faire la meilleure sélection possible. « Un chargeur vient déverser une granulométrie de galets préalablement triés dans un crible » explique Laëtitia Paporé, « et sur un tapis roulant, les trieurs retirent ensuite les galets qui ont des défauts. Le galet rond est une filière où le travail manuel est encore très présent parce qu’essentiel. »

 

Un prêté pour un rendu 

 

Cette activité locale est évidemment très réglementée. Pour pouvoir prélever le galet sur l’estran ou en carrière, les professionnels doivent respecter le cadre réglementaire de concessions et les arrêtés préfectoraux correspondants à l’occupation du domaine public maritime et au droit de prélever. « C’est une activité très encadrée et très réglementée qui prend en compte, via les études d’impact, toute la particularité de l’environnement dans lequel elle se situe » rappelle Laëtitia Paporé.

Les normes environnementales actuelles engagent aussi les exploitants à penser le devenir de la carrière. Le site du Hourdel est ainsi destiné à redevenir en partie, après exploitation, une zone agricole et une zone favorable à la biodiversité avec la création d’une mosaïque de milieux tels que mares et fossés, plans d’eau, zones sèches, dunes, etc.

De plus, pour une tonne de galets prélevée sur le littoral, une tonne issue de carrière est rendue à dame nature dans une zone en érosion. Ces galets restitués par les professionnels et oxydés par leur présence dans le sol depuis quelques milliers d’années servent à renforcer la digue de protection contre la mer. Une fois qu'ils auront perdu leur couche d’oxydation, ils pourront finalement être prélevés à leur tour sur l’estran. 

Cru, concassé ou calciné : le galet fait des merveilles 

 

Le galet de la Baie de Somme peut être utilisé sous différents aspects et répondre à bon nombre d’usages, aussi divers que variés.

À l’état brut, on parle de galet rond ou galet cru. Il est alors choisi pour sa forme arrondie et sa dureté. Il est notamment convoité dans l’industrie de la céramique et des minéraux industriels. Placé dans de grands broyeurs qui tournent sur eux-mêmes, le galet va aider par contact à broyer la matière. Dans sa forme brute, le galet de la Baie de Somme peut aussi être utilisé en décoration ou pour la création de mobilier urbain.

Mais il peut aussi être concassé puis tamisé en granulométries précises de tailles variables. Au Hourdel, l’usine d’HeidelbergMaterials procède à ce type de transformation. « Nous allons le tamiser sur des fractions très précises pour répondre à des utilisations très pointues » explique Laëtitia Paporé. On le retrouve dès lors dans la composition de papiers abrasifs, les filtres de piscine, d’aquarium ou de station d’épuration. Il permet également de renforcer la résistance du béton.

Enfin, pour les galets les moins oxydés, dont le taux de silice est le plus élevé, le traitement choisi est celui de la calcination à très haute température. Chauffé à environ 1 600°C, la petite pierre est alors transformée en cristobalite d’un blanc immaculé. Cette dernière peut entrer dans la composition de peintures, d’enduits ou de résines et être utilisée pour des marchés industriels de niche comme les bétons architectoniques ou des bétons décoratifs. La cristobalite est également utilisée dans le domaine de la cosmétique ou encore pour la confection de prothèses dentaires. Même s’ils se font aujourd’hui plus rares, les écrans plasma de nos salons sont également conçus à partir de cette matière originaire de la Baie de Somme.

 

Le galet de la Baie de Somme et ses usages... somme toute insolites

 

Le galet de la Baie de Somme présente des pouvoirs extraordinaires bien plus insoupçonnés ! « Il sert notamment au freinage d’environ 90 % des tramways français et de la moitié des tramways européens » d’après Laëtitia Paporé. En effet, sous forme de sable, le galet est utilisé dans les injecteurs au niveau des roues des véhicules. Il leur donne ainsi toute l’adhérence nécessaire pour le freinage ou le démarrage.

En Allemagne, il permet même de faire des économies d’énergie. Composant de choix pour des bétons éclaircis très répandus dans les tunnels pour réfléchir la lumière des phares, sa blancheur naturelle permet ainsi de se passer d’un éclairage spécifique. Pour les mêmes raisons, il est utilisé dans certaines peintures réfléchissantes sur les routes, très appréciées des motards car elles garantissent une bonne visibilité et une bonne adhérence au passage des engins.

Mais ce n’est pas tout : le galet de la Baie de Somme peut même partir en orbite ! Sous sa forme calcinée, il est en effet utilisé pour les boucliers des fusées. La fameuse cristobalite agit alors comme un vrai rempart contre le feu.

Enfin, encore plus inattendu, le galet de la Baie de Somme est également un excellent complément alimentaire des volailles ! « Sous forme concassée, il est particulièrement utile pour l’élevage des poulets en batterie » explique Laëtitia  Paporé. « On leur apporte ainsi les petits grains de sable nécessaires à leur digestion, avec la granulométrie spécifique qui leur convient. »

 

Si pierre qui roule n’amasse pas mousse… le petit galet de la Baie de Somme fait en tout cas un joli bonhomme de chemin et s’est constitué une belle notoriété à travers le monde. Pour le plus grand plaisir de toute une région !

 

Crédits photos : Stéphane Bouilland - Auteur-Photographe

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