Et si le prochain Indiana Jones était tourné dans une carrière de la région parisienne ? Ce n’est pas encore d’actualité… mais il faudrait souffler l’idée à Steven Spielberg ! En effet, en révélant les strates géologiques enfouies, les carriers d’Ile-de-France dévoilent régulièrement aux archéologues des opportunités uniques de fouille. Leur collaboration a d’ailleurs permis de mettre au jour des vestiges exceptionnels et surprenants comme des ossements de mammouths et des restes de civilisations oubliées. De quoi mieux comprendre l'évolution des sociétés humaines. Sortez votre chapeau, votre fouet et votre appareil photo, La Vie en Pierre vous emmène à travers les carrières d’Ile-de-France pour une aventure unique à travers les millénaires !
2 métiers, 1 même terrain de jeu
Bien que les deux activités aient des missions distinctes, elles partagent un centre d’intérêt : la connaissance du sol et du sous-sol. En effet, si les archéologues s’intéressent aux vestiges piégés dans les sédiments, les carriers eux se passionnent pour la nature-même de ces sédiments afin de les exploiter. En creusant pour extraire des ressources minérales, ces derniers dévoilent ainsi souvent des trésors d’investigation pour les professionnels de l’Histoire : des couches géologiques riches en vestiges. En effet, l’extraction des matériaux de construction offre de formidables opportunités d'accéder à des strates profondes et de découvrir des objets enfouis depuis des millénaires. C’est pourquoi, depuis plus d’un siècle, archéologues et carriers travaillent main dans la main pour approfondir notre connaissance du sol et du sous-sol.
© Myrabella - Le treuil de la carrière Auboin servait à l'extraction de la pierre calcaire de cette carrière souterraine du XIXe siècle. Restauré, ce treuil à traction animale est ici en démonstration lors des Journées européennes du patrimoine 2009.
Eugène Piketty : parfaite incarnation de cet intérêt commun
Eugène Piketty, né en 1827, est un dragueur-carrier travaillant sur le lit de la Seine. Son exploration du fond du fleuve l’amène à extraire des matériaux mais pas seulement ! Il enchaîne les découvertes : outillage, poteries néolithiques et objets en bronze. Il se passionne alors pour l’archéologie. Avec son frère, il fonde en 1870 la société “Piketty Frères” pour combiner ses activités de dragueur, marchand de sable et archéologue. L’importante collection qu’il a ainsi constituée est conservée au Musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye.
Plus on construit, plus on fait de découvertes
À la fin du 19e siècle et jusque dans les années 1980, plusieurs découvertes de sites préhistoriques d’Ile-de-France sont ainsi liées à l'exploitation du limon, matériau granulaire largement répandu pour la fabrication de briques. Ces briques étaient nécessaires au développement de la région et aux nombreuses constructions qui ont vu le jour sur cette période. Par la suite, les carrières du nord de la Seine se sont concentrées dans les fonds de vallée pour extraire du sable et du gravier. Ces nouveaux milieux d’exploitation ont alors permis de révéler d’autres sites préhistoriques, datés autour du Paléolithique final et du Mésolithique.
Aujourd’hui, archéologues et carriers continuent de travailler ensemble pour améliorer notre connaissance du territoire, favoriser l’ancrage local des aménagements, le tout dans le respect du développement durable et de l’environnement.
Si des découvertes sont faites, les professionnels peuvent mener des fouilles plus approfondies avant que la construction ne commence, évitant ainsi de détruire des sites historiques ou archéologiques importants. Ces opérations sont prescrites par l’État et sont menées par l’INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) aux côtés de l’UNICEM (Union Nationale des Industries de Carrières et Matériaux de Construction) et de l’UNPG (Union Nationale des Producteurs de Granulats).
© Thor19 - Carrière de pierre de la Grosse Roche
Des fouilles préventives précieuses pour les exploitants de carrière...
L'archéologie préventive présente plusieurs intérêts pour les exploitants de carrière, au-delà de la conformité à la réglementation. Elle permet notamment aux carriers d’anticiper et d’adapter leur projet pour éviter des retards dus à des découvertes inattendues au cours des travaux. Et donc de réduire les risques financiers liés à la suspension d'un projet. De même, les fouilles préventives permettent aux carrières de jouer un rôle primordial dans la préservation et la mise en valeur du patrimoine local.
... et notre connaissance du territoire
Une fois la fouille achevée, les archéologues peuvent débuter leur phase d’étude hors du terrain. Toutes les données sont alors recueillies et analysées pour établir un rapport d’opération archéologique remis au préfet de région. À l’issue de cette phase et après validation du rapport, la documentation archéologique et les vestiges mis au jour sont remis à l’État. Ce travail, accessible à tous, permet ainsi de partager au plus grand nombre les trésors de nos territoires.
Certaines fouilles archéologiques ont aussi pu mettre au jour les techniques d’exploitation des carriers du Moyen-Âge. Durant cette période, l’ensemble de la formation géologique exploitée à Paris est un calcaire d’origine essentiellement marine formé il y a 45 millions d’années. Si les carriers n'exploraient que des fronts de taille à ciel ouvert jusque vers 1200, un saut technologique a finalement été réalisé et a permis de prolonger l'extraction en souterrain. En effet, à cette époque, les besoins sont si importants que les carriers sont contraints de faire évoluer leurs méthodes d’exploitation et de multiplier les lieux d’extraction.
Les grandes révélations des carrières d’Ile-de-France
Si depuis longtemps déjà, les archéologues se penchent avec attention sur les carrières de la région Ile-de-France, leur intérêt semble s’accroître depuis les années 1980 pour les carrières du Nord de la Seine… avec des découvertes majeures à la clé ! Alors, qu’est-ce que les sous-sols franciliens ont bien pu leur révéler ? La Vie en Pierre vous en dit plus.
© Thor19 - Carrière du Boulay
La sablière de Pincevent et ses 500 sites archéologiques
Révélé dans les années 1960, sur la commune de La Grande Paroisse, le site de Pincevent est emblématique pour ses découvertes exceptionnelles réalisées dans une sablière exploitée depuis 1926. Un bel exemple de collaboration entre carriers et archéologues. En effet, grâce aux fouilles préventives, un ancien campement de chasseurs de rênes magdaléniens datant de plus de 12 000 ans a ainsi été identifié. Les fouilles ont notamment révélé des outils en silex, des foyers et des restes d’habitations, offrant un aperçu précieux sur la vie quotidienne des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire. En tout, sur ce secteur situé en amont du confluent Seine-Yonne, ce sont plus de 500 sites archéologiques de différentes périodes qui ainsi ont été mis en lumière.
Le mammouth de Changis-sur-Marne
La carrière de Changis-sur-Marne, située en Seine-et-Marne, est particulièrement riche en découvertes archéologiques. Menées dans le cadre de l’exploitation des carrières, des fouilles ont révélé des vestiges allant de l'âge du Bronze à l'époque médiévale, offrant un aperçu fascinant de l'évolution des sociétés humaines sur plusieurs millénaires.
L'une des découvertes les plus spectaculaires est celle des restes d'un mammouth, datés de 100 000 à 90 000 ans avant notre ère ! Cette trouvaille de 2012 est exceptionnelle en France, car seuls trois spécimens similaires ont été exhumés en 150 ans. En plus des vestiges paléolithiques, le site a également livré des traces d'occupation néolithique et de l'âge du Bronze : des habitations, des fosses et des sépultures, témoignant d'une occupation continue et structurée de la région.
© Denis Gliksman, Inrap
La carrière de Changis-sur-Marne est également notable pour ses découvertes de l'époque médiévale. Des fouilles ont mis en évidence un habitat rural pérenne. Un cimetière médiéval a également été exhumé. Les tombes contenaient des objets de grande valeur tels que des couteaux et des garnitures de ceinture finement décorées.
La civilisation perdue de Noyen-sur-Seine
À Noyen-sur-Seine, l’exploitation de granulats dès 1983 a permis la découverte d’une enceinte néolithique et d’un site de chasseurs-pêcheurs mésolithiques. En effet, entre 1995 et 2005, diverses interventions archéologiques ont eu lieu sur une soixantaine d’hectares, grâce au partenariat de l’État avec l’INRAP et la carrière de granulats Morillon.
Et voilà, grâce au travail de nos carriers et archéologues, vous ne verrez plus les chantiers en cours ni les carrières près de chez vous de la même manière ! Ces sites ont en effet certainement révélé de nombreux secrets et trésors de notre Histoire, enrichis nos connaissances et notre patrimoine local. Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à vous renseigner auprès du service régional de l’Archéologie (SRA). Il dispose d’une documentation actualisée, accessible à tous et organise chaque année les Journées Européennes de l’Archéologie.