Daniel Crison, directeur du CAUE 43 : « La tendance architecturale est au mix des matériaux »

Daniel Crison, directeur du CAUE 43 : « La tendance architecturale est au mix des matériaux »

Au fil des époques, les modes constructifs ont énormément évolué et la place de la pierre également. Le béton est arrivé et avec ses nombreuses qualités (résistance, durabilité) et est devenu le matériau le plus utilisé dans la construction…même si le choix offert aux maîtres d’œuvre est aujourd’hui extrêmement large, ce qui permet des mixes de matériaux pour des réalisations toujours plus innovantes et surprenantes. Le CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) est un acteur majeur de cette dynamique. Entretien avec Daniel Crison, architecte et directeur du CAUE  de Haute-Loire…

 

Quel est le rôle des CAUE ?
Daniel Crison
 : Dans toute la France, les CAUE ont été créés avec la loi du 3 janvier 1977, une loi sur l’architecture qui préconisait de mettre à disposition des particuliers et des collectivités des conseils en matière d’architecture, d’urbanisme et d’environnement. Nous menons donc des actions de sensibilisation et d’information du public. Dans notre rôle de conseil, il peut y avoir la question de la prescription des matériaux mais pas comme un architecte peut avoir à le faire. Notre mission n’est pas de mener des projets. On a davantage un rôle de conseil et d’accompagnement.

 

Intégrer la pierre au milieu du bâtiment et du paysage

 

Quelle est l’importance de la notion de matériau dans le processus de construction ?
Daniel Crison
 : Ce n’est pas obligatoirement la réflexion première dans un projet. Les notions de performances interviennent. Il y a en fait deux choses à distinguer : le bâtiment et le paysage. Pour le bâtiment, ce sont les architectes qui dirigent les choix et les opérations. En matière de paysage, les concepteurs, les architectes-paysagistes ont ce réflexe de regarder et d’apprécier le substratum, pour les lieux  où ils vont insérer un projet. Ils observent les qualités de l’environnement : les végétaux, le relief, l’eau et la pierre, bien entendu, tiennent une place très importante. On se demande ainsi comment utiliser ces ressources de l’environnement immédiat un peu comme lors des constructions « d’avant les transports mécanisés ». Les architectes sont eux, bien souvent contraints par des questions de coût. Un bâtiment tout en pierre naturelle sera plutôt un bâtiment d’exception.
 


Une maison construite en pierres naturelles
 

Hormis le prix, quels sont les principaux critères de choix de matériau pour les architectes ?
Daniel Crison
 : En général, on s’intéresse à la relation que le bâtiment entretiendra avec son site pour lui conférer une sorte de filiation. Et on va parfois essayer d’employer des pierres locales pour entretenir cette relation avec l’environnement. C’est pourquoi, on évite d’utiliser du granit là où il y a du basalte du calcaire là où il y a du granit. La proximité des carrières a également son importance. Mais ça c’est la théorie. Souvent, l’architecte, dès les premières esquisses, aura déjà une idée des matériaux dont il a besoin et qu’il souhaite utiliser pour exprimer son projet. On ne dit pas la même chose avec des pierres qu’avec du béton ou du bois. La recherche personnelle de l’architecte est donc aussi très importante. Il orientera différemment le projet avec des pierres rugueuses, des pierres tendres, des pierres noires ou encore des pierres claires.

 

« La pierre : une image de pérennité avec tout un patrimoine qui a traversé les siècles »

 

Aujourd’hui, quel est le positionnement des architectes par rapport à la pierre naturelle ?
Daniel Crison
 : Pour des raisons de budget, c’est un élément assez peu présent dans la construction courante mais par contre très prisé pour les chantiers de restauration. Dans le département de Haute-Loire par exemple, au niveau des centres-bourgs, on utilisait beaucoup la pierre parce que c’est le matériau qui était présent et finalement commun. Lors d’un projet, l’idée est de conserver et valoriser les savoir-faire historiques présents dans le bâtiment alors que dans le neuf, on se heurte davantage au critère du prix. De là à dire que la pierre est réservée aux bâtiments un peu haut-de-gamme, il n’y a qu’un pas. Dans le neuf, on utilise tout de même encore la pierre. Elle est incluse dans l’architecture mais pas dans son intégralité. Ce peut être pour des parements, une façade ou une partie de celle-ci, des abords, des soubassements ou un mur partiellement en pierre pour entretenir la filiation avec l’environnement.

 


Daniel Cruson, architecte et directeur du CAUE  de Haute-Loire

 

A notre époque, quels sont les arguments de la pierre ?
Daniel Crison
 : La pierre c’est d’abord une image de pérennité avec tout un patrimoine qui a traversé les siècles. Des constructions de pierres perdurent ainsi depuis les Romains. Et Ensuite il y a un aspect esthétique très important avec des gammes de couleurs et des rendus très divers. Il y a aussi une image très valorisante de la pierre, taillée ou non, qui convoque ipso facto la noblesse et l’aristocratie des châteaux, hôtels particuliers, abbayes et autres cathédrales encrées dans les mémoires. Dans la région, nous avons des architectes comme Gilles Perraudin qui font un travail très intéressant sur la pierre massive. Mais ce sont encore une fois des réalisations très haut-de-gamme.

 

« Seuls les architectes du patrimoine ont une excellente connaissance de la pierre »

 

Quel regard portez-vous sur le rôle des carrières ?
Daniel Crison : Compte-tenu de la demande actuelle et des contraintes économiques du marché, la production des carrières est peu orientée vers la pierre ornementale. Elle s’oriente en majorité vers la fabrication de granulats utilisés pour la fabrication de béton ou de produits routiers (fondation de chaussées et enrobés) : il y a une très forte demande de granulats. Les vieilles carrières existent encore.

 


Carrière de Saint-Pierre-Aigle
 

Quelle est la part du bâti encore en pierre aujourd’hui ?
Daniel Crison : Il faut distinguer des villes ou métropoles en perpétuelle croissance qui utilisent davantage le béton pour leur expansion, à l’inverse des territoires ruraux, comme la Haute-Loire, où le bâti traditionnel de pierres prédomine encore et malgré tout. Autrefois, la pierre était un matériau comme les autres. C’était celui disponible et le plus économique. Bien souvent, pour les bâtiments ordinaires, ceux du quotidien, les pierres n’étaient pas taillées, elles étaient assemblées « brut » ce qui ne veut pas dire sans sciences. Parfois, elles reposent les unes sur les autres avec des angles vifs, ce qui peut entrainer des désordres. Aujourd’hui, faute de marchés, les architectes ne possèdent plus assez ce savoir majeur depuis Vitruve et l’art de la stéréotomie. Mais il y a une exception, ce sont les architectes du patrimoine qui en ont une excellente connaissance. On assiste en outre à un engouement populaire pour la vieille pratique des pierres sèches sans liant demandant peu d’énergie à la nature et  beaucoup à l’être humain.

 

« Le béton a lui aussi une noblesse qu’il faut valoriser »

 

Et qu’en est-il du béton, est-il aujourd’hui valorisé par les architectes ?
Daniel Crison
 : Ça reste un matériau universel, très utilisé, fondateur de l’architecture du XXème siècle. Des bétons architectoniques sont souvent travaillés. Il y a aussi le béton de structure qu’on ne voit pratiquement pas mais qui témoigne parfois des prouesses technologiques. Et puis il y a aujourd’hui des bétons plus techniques. Et même des bétons connectés ! Avec le CAUE de la région Auvergne Rhône-Alpes, nous travaillons sur l’architecture du 20e siècle. Durant cette période, le béton a été le matériau triomphant. Il a permis une dimension plus importante des ouvertures, une plasticité sans équivalent, des courants d’architecture extrêmement prolifiques. C’est un patrimoine intéressant à conserver, réutiliser. On peut évoquer des bâtiments comme la Tour Perret du Parc Mistral à Grenoble et avec elle, surgit toute la cohorte des bâtiments « à la Perret ». Ce sont ces mêmes bâtiments qu’il faut aujourd’hui restaurer et préserver. Le béton a lui aussi sa noblesse. Il faut le valoriser à travers l’architecture. Il ne s’agit pas de l’opposer à la pierre ou au bois. Ce n’est ni mieux ni moins bien. Le béton a sa propre logique. Il a permis un renouvellement considérable de l’architecture au 20e siècle, il faut réhabiliter son image.

 

Mais le béton a lui aussi de la concurrence ?
Daniel Crison
 : Oui, même si c’est encore le matériau de référence, il y a des matériaux qui entrent en concurrence avec le béton : la brique, le bois également. Mais il y a surtout de plus en plus de mariages entre les matériaux. Ce phénomène de mixité des matériaux est très frappant, c’est une évolution très nette en architecture. On peut très bien avoir des structures en bois par exemple avec des parements en pierre.

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