Un champignon, un diabolo, une soucoupe volante, une fusée... On a tous en mémoire ces constructions imposantes aux formes étranges. Souvent en retrait des agglomérations, elles ressemblent à une tour de guet aux allures futuristes. Mais à quoi servent ces châteaux d’eau, des édifices emprunts d’une technicité méconnue, dont la majorité démontrent les prouesses du béton, et qui éveillent notre imagination et notre curiosité ? Si leur esthétique a souvent fait polémique, ils sont d’abord synonymes de progrès et symbole d’abondance, avant de devenir le terrain de jeu de nombreux artistes…
Notre histoire débute dans l’Antiquité lorsque les Romains plaçaient de grands réservoirs au sommet des villes afin de fournir de l’eau en pression aux villas et thermes situés en contre bas. Grâce à ce système ingénieux, toutes les pièces et les fontaines étaient alimentées, apportant confort et fraîcheur aux riches propriétaires. Au cours des siècles, les techniques de pompages se perfectionnent pour faire un bond durant la deuxième moitié du XIXe siècle : il faut répondre à une demande industrielle et ferroviaire, augmenter la cadence des ouvriers et remplir les chaudières des locomotives à vapeur ! Résultat, on installe des citernes sur les toits et les aqueducs à proximité des usines et des voies ferrées. C’est aussi l’époque où l’hygiène devient un enjeu majeur car les épidémies de choléra et de fièvre jaune font de nombreuses victimes. Ainsi, sous l’impulsion de l’architecte Hausmann et du mouvement hygiéniste, les réservoirs d’eau en hauteur ponctuent le paysage urbain pour fournir l’eau courante sous pression à tous, même aux citadins qui logent aux derniers étages des immeubles.
Château d'eau de St Romans les Melles (79)
Jusqu’en 1945, plus de 70 % des communes rurales ne sont pas desservies en eau courante. C’est donc au cours des Trente Glorieuses que les châteaux d’eau fleurissent sur l’ensemble de l’Hexagone, et notamment dans les plaines. Pourquoi ? Parce que les techniques de pression n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. En surélevant les réservoirs d’eau à 10 mètres de hauteur, on obtient une pression supplémentaire de 1 bar. Finalement, le château d’eau est une formidable mise en application d’un principe physique bien connu : la gravité ! L’eau est pompée depuis une nappe phréatique, un barrage ou une rivière jusqu’au sommet du château d’eau afin de couler vers les habitations situées plus bas. Lorsque l’édifice est placé sur un point particulièrement haut, il peut alimenter des maisons à plusieurs kilomètres grâce à la seule action de la pesanteur.
Composés d’une cuve et d’un fût, auxquels on peut parfois ajouter un socle et des éléments de décor, les châteaux d’eau ont vu leur architecture évoluer au fil des époques. Les cuves en plaques d’acier rivetées et les lignes turriformes des édifices du XIXe siècle ont laissé la place à des châteaux d’eau « bouchon de champagne » avant d’être ringardisés par des architectures types « champignon » à la fin du XXe siècle. Une constante demeure cependant depuis plus d’un siècle : l’utilisation du béton ! C’est d’abord l’architecte François Hennebique qui conçoit une ossature ajourée en béton armé dès les années 1910. Ce système à structure apparente connaît un vif succès et inspirera les architectes de la fin du XXe siècle.
Château d'eau du Peyrou, Montpellier (34)
À partir des années 1960, les châteaux d’eau se déclinent dans des formes coniques. Les architectes cherchent à intégrer le fût et la cuve de manière harmonieuse dans un même ensemble. L’ossature en béton est généralement réalisée à l’aide d’un coffrage par tranches verticales successives. Cependant, cette technique nécessite un échafaudage de plusieurs dizaines de mètres difficile à mettre en place. La deuxième option préconisée pour construire un château d’eau sans échafaudage ? Réaliser le coffrage de la cuve au sol autour du fût préalablement exécuté en coffrage glissant, puis hisser la cuve le long du fût à l’aide de câbles et de vérins. Une technique qui demande une attention de chaque instant quand on sait que le vérinage peut monter jusqu’à 40 m de haut et le poids levé avoisiner les 1 600 tonnes !
Aujourd’hui, des pompes puissances permettent de mettre facilement sous pression le réseau d’eau courante. On préfère installer des réservoirs au niveau du sol pour limiter les coûts plutôt que construire des châteaux d’eau. Pourtant, ces édifices continuent d’influencer l’imaginaire collectif, invitant à la poésie. Au gré d’une balade, on peut apercevoir une tulipe, un verre à pied, un coquetier ou une coupe… Pour protéger ce patrimoine unique, certains châteaux d’eau sont classés aux monuments historiques quand d’autres bénéficient d’une restauration, voire d’un changement d’usage. C’est notamment le cas du château d’eau Saint Charles à Vandœuvre-lès-Nancy datant de 1908. La structure en béton armé et les motifs de la façade ont été conservés. Mais à l’intérieur, la cuve de 1 000 m3 accueille dix-huit logements sociaux ! Une véritable prouesse architecturale.
Château d’eau de Saint Charles à Vandoeuvre-lès-Nancy (29)
Si les châteaux d’eau offrent la possibilité de concevoir des logements atypiques avec vue imprenable sur l’horizon, ils sont aussi le terrain de jeu de nombreux artistes. Connus pour leurs photographies noir et blanc, Bernd et Hilla Becher ont immortalisé pendant plusieurs années des bâtiments industriels. Leur particularité ? Cadrer frontalement, de préférence sous un ciel couvert avec un téléobjectif ! Ils ont ainsi créé des typologies mettant en valeur les formes variées des châteaux d’eau. Devenu une référence, leur travail artistique a influencé une génération de plasticiens et incité les street-artistes à métamorphoser ces géants de béton à coup de peinture. Aujourd’hui, au détour d’une route, on peut admirer des châteaux d’eau habillés de fresques colorées et de dessins graphiques. Une belle manière de valoriser le patrimoine local et la mémoire d’un territoire. Symbole qui vous a forcément sauté aux yeux, en 2009 le comité départemental du tourisme de la Drôme s’est porté acquéreur du château d’eau de St-Rambert-d’Albon. Situé en bordure de l’A7 empruntée par des millions d’automobilistes qui descendent dans le Sud, l’édifice sert depuis de support à une fresque géante (1 425 m² de surface peinte) afin de faire la promotion touristique du département. Electrifié, il apparaît même désormais tel un phare dans la nuit !
Château d'eau de St-Rambert-d'Alban (26)
Retrouvez tout le détail de la réalisation sur le site de Vincent Ducaroy, artiste spécialisé dans la fresque murale et le trompe-l’œil.