A elle-seule cette pierre volcanique a conféré aux Romains leur réputation de meilleurs bâtisseurs de l’histoire. La pouzzolane a longtemps été l’un des secrets les mieux gardés de l’Antiquité. Changement de cadre aujourd’hui, c’est au cœur verdoyant de la chaîne des Puys qu’elle est en partie exploitée. Un matériau à l’histoire riche mais aux usages résolument modernes. Voilà qui mérite un voyage dans le temps…
« Ils sont fous ces Romains ! » Fous peut-être cher Obélix, mais des bâtisseurs de génie, c’est une évidence. Car 2000 ans après, leur empreinte résiste encore et toujours à l’envahisseur (sic). De la ville antique de Volubilis au Maroc, au temple de Palmyre en Syrie (qui doit affronter aujourd’hui d’autres tourments…), de la Porta Nigra de Trèves en Allemagne à l’Agora d’Athènes, les vestiges de cette civilisation sont partout. D’ailleurs pour les « romanophiles » acharnés, sachez qu’il vous faudra visiter une bonne trentaine de pays européens et méditerranéens pour admirer l’ensemble des ouvrages encore debout… de quoi user quelques sandaliums.
Le tour de Gaule d'Astérix
Mais évidemment c’est à Rome, la Ville éternelle, qu’on prend la mesure des connaissances et des compétences des « gars du bâtiment » de l’époque. Le Panthéon, le Colisée, le Forum Magnum, etc, vous font ressentir la grandeur architecturale des lieux… Et pourtant les maçons romains n’étaient finalement que des opportunistes qui n’ont eu qu’à ramasser ce que la nature leur a donné ! Vous en doutez ? Alors cap au sud de la botte italienne, direction la région de la Campanie.
A l’extrême nord du golfe de Naples se trouve la ville de Pozzuoili (Pouzzoles pour les francophones). Pozzuoili et ses 82 000 habitants qui parlent avec les mains et dégustent les pasta e fagioli, son port millénaire, mais surtout ses champs Phlégréens (zone volcanique aux fumerolles et aux sources chaudes) et le Vésuve, le dernier volcan d’Europe continentale à être entré en éruption, en 1944.
Champs Phlégréens de Pouzzoles
Toute cette zone éruptive est réellement la clé du fameux superciment romain. Car un beau matin les habitants de la région se sont réveillés en ayant l’idée de récolter à même le sol des roches rouges, qu’ils ont d’ailleurs baptisées pouzzolane du nom de la cité. Bonne pioche puisque ce matériau, fruit des 25 000 ans de lave recrachée par les cratères, lorsqu’il est mélangé à la chaux vive, forme un mortier aux propriétés exceptionnelles. Pline l’Ancien, un naturaliste romain du 1er siècle, le décrivait comme « une mixture capable de se transformer en pierre qui devient de plus en plus forte avec le temps ». Et le résultat est effectivement impressionnant : sans même parler des grands ouvrages de Rome, de nombreux murs construits il y a 2 000 ans protègent toujours des ports italiens de la violence des vagues.
Récemment des géologues de l’université de l’Utah ont démontré qu’il s’agit en fait d’un phénomène chimique : le mortier formé de chaux, de sable fin de pouzzolane et d’un granulat de scories volcaniques basaltiques se renforce au contact de l’eau salée par un phénomène chimique de carbonatation… précisions pour les détenteurs d’un bac S ou C.
Bravo les Romains, mais vous auriez quand même pu donner la recette aux civilisations qui vous ont succédé ! « Ce n’est pas si simple. La composition du béton romain est connue depuis longtemps mais les gisements de pouzzolane sont beaucoup plus limités que pour des roches classiques type calcaire ou granite. C’est donc un matériau rare et cher, utilisé pour des applications très techniques. Les Romains avaient la chance d’avoir tout sur place. » Explication fournie par Sébastien Masclet, membre du conseil d’administration de l’UNICEM Auvergne-Rhône-Alpes et dirigeant de la carrière Pouzzolanes des Dômes à Saint-Ours-les-Roches. Car il ne faut pas croire que le recours à la pouzzolane a brutalement stoppé au moment où les Wisigoths ont marché sur Rome. Partout dans le monde où un volcan s’éteint, un gisement s’éveille… La roche rouge est par exemple extraite encore un peu en Italie, en Allemagne et sur des îles comme les Canaries ou le Cap-Vert.
Site d'exploitation de Pouzzolanes des Dômes
En France, les ressources de l’Hérault et du Vivarais, au passé volcanique ancien, ont été exploitées assez tôt et c’est en 1778 que le vénérable et aventureux géologue Barthélemy Faujas de Saint-Fond fit la découverte de pouzzolane dans le Velay. Aujourd’hui l’Auvergne représente la grande majorité de l’exploitation dans l’Hexagone. « Ici le minerai est de bonne qualité car l’activité volcanique de l’Auvergne est très récente, précise Sébastien Masclet. Dans la chaîne des Puys, certains des 80 volcans étaient encore en activité il y a à peine 7 000 ans. Quelques minutes à l’échelle géologique, comparé à des roches qui ont 80 millions d’années ! »
Chaque année entre 500 000 et 600 000 tonnes de pouzzolane sont extraites, ce qui correspond à un petit marché mais les applications sont multiples. D’ailleurs, - et c’est une information - sans le savoir chaque jour vous en touchez, frôlez ou observez de quelques grammes à plusieurs tonnes. Démonstration de Sébastien Masclet : « C’est une roche légère, poreuse et drainante qui est utilisée comme substrats dans de nombreux espaces verts ou aménagements paysagers comme la baignade naturelle du Grand Chambord, la plus grande d’Europe. Elle est fréquemment employée également en agriculture, en horticulture, pour les fosses septiques. Les professionnels ont recours à la pouzzolane en base drainante de terrains de sport comme le Grand Stade de Lyon ou de pistes comme l’hippodrome de Divonne-les-Bains, mais également dans la composition de la terre battue de Roland-Garros par exemple. Sur la route aussi en hiver, en remplacement du sel, la pouzzolane redonne de l’adhérence. Et puis il y a des projets plus atypiques sur l’Argentine, le Canada, l’Afrique, certains pays du Maghreb, la Chine, et même un chantier en Irak. Aujourd’hui nous réalisons 2 à 4 % du chiffre d’affaires en exportation. »
La pouzzolane utilisée en base drainante du Groupama Stadium de Lyon
Un impératif rassemble toutes ces utilisations : la noblesse des projets. Les pouvoirs publics insistent sur le caractère exceptionnel du matériau et exigent une valorisation hors des applications basiques... du 4 étoiles quoi ! D’ailleurs, la pouzzolane, sur laquelle le pape du béton artificiel Louis Vicat a mené des recherches approfondies, reste évidemment utilisée dans la construction. Mais pour la fabrication de bétons techniques légers, isolants et très résistants. « Même si c’est encore largement minoritaire, avec le développement de l’écoconstruction, on voit des gens construire avec de la chaux et de la pouzzolane. Les coûts sont plus importants mais le confort est incomparable », conclut Sébastien Masclet. Foi de Romains, grâce à la pouzzolane le ciel ne nous tombera peut-être pas sur la tête de sitôt…