Villebois est une petite commune de l’Ain, à 60 km à l’Est de Lyon, dominant la vallée du Rhône, au pied du Massif du Bugey. C’est sa pierre calcaire, parfois appelée « choin de Villebois » qui a fait sa notoriété dans le secteur de la construction. Si l’exploitation des carrières de Villebois a cessé au milieu du 20e siècle, son souvenir reste très vivace. Thierry Roux, le président de l’association « Villebois pierre et château » met tout en œuvre actuellement pour entretenir la mémoire de ce qui a longtemps fait la fierté de toute une commune…
Vous êtes un fin connaisseur de l’histoire des carrières de Villebois. De quand date le début de leur exploitation ?
Thierry Roux : On a des traces d’exploitation dès l’époque antique. On a en effet quelques pierres de Villebois retrouvées dans des soubassements de l’époque gallo-romaine à Lyon. Mais ce sont des volumes qui restent faibles. L’exploitation a débuté de façon certaine dès le 16e siècle. On a pas mal d’éléments en pierre de Villebois qui sont de cette époque : les ruines du château, la mairie. A cette période, le commerce de la pierre se fait au niveau local. C’est au 18e siècle que l’exploitation s’industrialise et que le commerce dépasse les limites régionales pour devenir international au 19e siècle.
Thierry Roux, président de l'association Villebois Pierre et château
Aujourd’hui les carrières de Villebois sont toutes fermées. A quel moment ont-elles cessé de fonctionner ?
Thierry Roux : Sur Villebois, les carrières ne sont plus exploitées depuis les années 40-50. Le choin de Villebois a été victime de la concurrence d’autres matériaux. Mais de l’autre côté du Rhône, dans le même bassin carrier, sur la même strate, il y a encore des carrières en exploitation sur les communes de Parmilieu et Porcieu. C’est également du choin de Villebois.
Et quelles sont les caractéristiques de cette pierre ?
Thierry Roux : C’est de la pierre de taille, une pierre dure dite aussi « pierre froide ». C’est au niveau local qu’on appelle ça le « choin ». C’est un calcaire qui est blanc avec des marques très spécifiques en forme d’éléctrocardiogramme, c’est le joint stylolitique. Dans la pierre de Villebois, ces marques sont très facilement repérables et on en voit partout quand on se promène dans Lyon.
Joint stylolithique très singulier de la pierre de Villebois
Comment se faisait le transport de la pierre vers Lyon ?
Thierry Roux : Au début, l’évacuation se faisait par le Rhône. Il y avait tout un système de mariniers. Rien qu’à Villebois, au 18e siècle, il y avait 4 ou 5 ports pour charger la pierre. L’activité de batellerie était concentrée dans un hameau de Villebois situé au bord du Rhône, le hameau du Sault. C’est là que les mariniers chargeaient la pierre pour l’envoyer à Lyon. Sur la seconde moitié du 19e siècle, c’est le chemin de fer qui a pris le relais pour exporter le choin à Lyon et bien au-delà. C’est ainsi qu’on retrouve la pierre de Villebois dans des villes comme Genève, Saint-Etienne, Annecy ou encore Aix-les-Bains. Il y a vraiment eu un rayonnement très important.
Clocher de l'église de Villebois
Au plus fort de l’exploitation, Villebois ne vivait que pour le choin…
Thierry Roux : Oui, il y avait au moins une vingtaine de carrières avec plusieurs propriétaires : des petits propriétaires avec des carrières modestes et des plus grosses sociétés de carriers. Au 19e siècle, il y a eu jusqu’à 2 500 habitants, quasiment tous carriers ou tailleurs de pierre. Et on le voit aujourd’hui, le village est entièrement bâti en pierre de Villebois. C’est le cas des maisons d’abord. Et puis dans l’église très remarquable avec son architecture massive. A l’intérieur, les colonnes sont des blocs monolithiques. Le monument le plus célèbre de Villebois, c’est le monolithe qui a été érigé pour le centenaire de la Révolution française. Avec une hauteur d’environ 12 mètres, c’est la plus grande pierre dressée en France, sortie d’une carrière d’un seul tenant !
Monolithe monumental de Villebois
Et ailleurs, il y a des monuments connus en pierre de Villebois ?
Thierry Roux : Dans nos archives l’Hôtel-Dieu de Lyon, d’ailleurs actuellement rénové, a été l’un des premiers grands chantiers avec la pierre de Villebois utilisée en abondance. Ce sont des volumes considérables qui ont été transportés de Villebois à l’Hôtel-Dieu par le Rhône. Il y a aussi tous les quais du Rhône à Lyon, de nombreux immeubles du 19e siècle à Annecy ou Aix-les-Bains, tous les quais au bord du Lac Léman à Genève.
Aujourd’hui, les carrières ne sont plus exploitées mais vous souhaitez mettre ce patrimoine en valeur…
Thierry Roux : Bon nombre de carrières sont tombées dans le domaine privé et sont en plus ou moins bon état. La commune de Villebois possède, elle, encore trois carrières. Pour la « carrière des Meules », l’association, en partenariat avec la mairie, a défriché le site pour le rendre à nouveau accessible. Depuis 2016, on est rejoint par le CenRA (Conservatoire des espaces naturels Rhône-Alpes) qui a pris le site en gestion, avec sa mise en valeur pour objectif dans les 5 prochaines années. Un chantier bénévole organisé par le CenRA et l’UNICEM (Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction) a déjà dégagé l’ancien front de carrière. A la pelleteuse, on a enlevé 400 m3 de remblais pour retrouver l’ancien carreau de la carrière, le sol d’exploitation. Aujourd’hui, on souhaite faire un sentier d’interprétation pour 2018-2019. On va aussi créer un espace naturel sensible départemental « des anciennes carrières de Villebois » dans lequel on va intégrer la « carrière des Meules » mais aussi la « carrière des Oranges ». Sur celle ci, la nature a repris ses droits de façon tout à fait intéressante. On y retrouve également des ornières creusées par les chars qui emmenaient les pierres jusqu’au Rhône.