Profession : tailleur de pierre 2.0

Profession : tailleur de pierre 2.0

Connaissez-vous le métier de tailleur de pierre ? Non, Obélix n’était pas tailleur de pierre, mais livreur de dolmens (anachronisme que s’est permis Uderzo : du temps des Romains, les menhirs n’existaient déjà plus…) Et non, 3 fois non, les Dalton, s’ils cassaient des cailloux toute la journée au bagne, n’étaient pas non plus tailleurs de pierre, seulement condamnés aux travaux forcés ! Un tailleur de pierre, c’est un artisan, héritier des bâtisseurs de cathédrales, âge d’or de la profession. Ces immenses chantiers lui ont donné ses lettres de noblesse. De nos jours, pour sauver leur métier, menacé car il y a moins de commandes, certains tailleurs de pierre ont recours au numérique. Certainement l’avenir !

Taille de la pierre et numérique font bon ménage…

En tout cas, c’est ce dont est convaincu Louis-Joseph Lamborot, responsable de la société 3D Pierre à Nanterre, lui-même héritier d’une lignée de tailleurs de pierre depuis quatre générations. Il considère que le recours au numérique est une adaptation nécessaire pour faire face à la concurrence de pays comme la Turquie, le Portugal ou le Liban, avec un coût de la main d’œuvre beaucoup moins élevé qu’en France. « Je veux juste que mon métier reste vivant et les outils d’aujourd’hui le permettent. » Et il renchérit : « des machines nous aident à exercer notre profession de tailleur de pierre du XXIème siècle. » Il y voit même des avantages certains : « Dans le bâtiment, il peut parfois y avoir des erreurs de calibrage. Le numérique doit réduire fortement ce risque, permettant de détecter des problèmes en amont, dès l’étude. » Et la réalisation 3D permet aussi de mieux illustrer les contraintes physiques, de tirer un meilleur parti de la pierre elle-même. Des avancées, qui, selon Louis- Joseph Lamborot, permettent d’aller vers plus d’excellence.

Louis-Joseph Lamborot, responsable de la société 3D Pierre (vidéo)

Tailleur de pierre version XXIème siècle

Les opérations de façonnage de la pierre, tracé et gabarits et épannelage, qui consiste à décomposer un volume complexe en une succession de surfaces simples- sont effectuées par la machine. Dans un bloc brut, pesant parfois plus de 7 tonnes, elle fait une tranche avec un fil numérique diamanté, semblable à un fil à découper le beurre. La précision requise est de l'ordre du millimètre, c’est-à-dire de l'épaisseur du trait réalisé à la pointe à tracer et au crayon et, sur ce plan-là, la machine est plus fiable que l’homme…
« La 3D permet de modéliser ce qu’on va faire, de mieux gérer les volumes et donc d’optimiser la matière et de limiter les pertes de matériau, d’étudier le comportement des ouvrages » dit Christian Laurent, représentant Roches Ornementales au Conseil d’Administration de l’UNICEM Auvergne Rhône-Alpes. Une fois la pierre débitée, elle passe sur la commande numérique pour être ébauchée. Et enfin, comme le souligne Louis-Joseph Lamborot, elle échoit toujours entre les mains du tailleur de pierre. Si la machine fait 80% du travail, la patine reste humaine. 80-20, c’est le rapport du travail effectué mais, pour le temps passé, le rapport est exactement inverse. Ce travail traditionnel permet de « sortir les noirs qui vont accrocher la lumière et donner du relief », du cachet. Les légères irrégularités manuelles insufflent aux pierres un supplément d’âme qui les distingue, parfois perdu avec le travail robotisé.

Opérations de façonnage de la pierre sur machine

Une tradition gravée dans le marbre…

C’est ce côté duplicable, standardisé… que critiquent les opposants à l’évolution du métier de tailleur de pierre. Ils déplorent la raideur des pierres obtenues et la standardisation des calepins. Les tenants de la tradition souhaiteraient que les tailleurs de pierre se contentent des outils qu’ils ont utilisés depuis des siècles, toujours les mêmes : le compas, l'équerre, le fil à plomb, la massette, le ciseau et le rabotin, certains datant de plus de 2000 ans. Pour eux, la pierre angulaire de leur métier est le travail à la main. Ils dénoncent aussi le néoclassicisme de mauvais goût pour nouveaux riches, que servent, selon eux, les tailleurs de pierre numériques. Plus entrepreneur que tailleur de pierre, Louis-Joseph Lamborot ? En tout cas, il accepte les commandes des milliardaires aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Moyen-Orient, et de propriétaires étrangers en France, tel le prince héritier d’Arabie Saoudite dont il a construit le château de Louveciennes, achevé en 2011. Un chantier titanesque qui a nécessité « la pose de 13 000 éléments de pierres taillées, allant des frises à triglyphes aux tables sculptées surmontant chacune des baies vitrées composant le château. » Et aurait été acheté 275 millions d’euros !

La pierre d’achoppement ? La vision du métier !

Finalement, la pierre d’achoppement, c’est la vision qu’ont les tailleurs de pierre de leur métier. Certains craignent de perdre leur âme en ayant recours au numérique ! Pourtant, les techniques de taille de la pierre qui se sont transmises depuis des générations ne sont pas près de disparaître, il s’agit plutôt de perpétuer une tradition tout en la renouvelant. Pour Christian Laurent, « les outils numériques apportent l’innovation nécessaire à l’évolution et à la sauvegarde du métier. Chez Euromarbles, en 2019, les prochains investissements seront clairement dans la voie de la numérisation. » Ces outils rendent aussi le métier moins pénible, plus compétitif, et concourent à plus de sécurité et de rapidité d’exécution. Deux mondes que l’on croyait incompatibles, celui d’un métier ancestral et celui de la haute technologie, peuvent très bien fonctionner de concert. Et ce qui compte par-dessus tout, n’est-ce pas l’amour du travail bien fait ? Même les Compagnons du Devoir, garants de la tradition, sont désormais formés aux outils numériques, conscients de la nécessité d’allier modernité et savoir-faire, s’ils ne veulent pas voir disparaître leur métier. Le mot de la fin revient à Christian Laurent : « Travailler comme au Moyen-Age, on sait faire, il faut apprendre à évoluer. »

 
Pierres d’achoppement en plaques

 

 

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