« Les chevalements en béton sont symboliques des Hauts-de-France. Il faut les préserver ! »

« Les chevalements en béton sont symboliques des Hauts-de-France. Il faut les préserver ! »

Situé sur le territoire des Hauts-de-France, dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, le Bassin minier rassemble aujourd'hui plus d'un million d'habitants… Mais aussi, 353 éléments inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis plus de 10 ans, au titre de leur valeur universelle exceptionnelle. Parmi eux, 4 chevalements en béton, témoins et vestiges totémiques de l’époque de l'extraction du charbon dans la région. Nous avons rencontré Raphaël Alessandri, architecte urbaniste pour la Mission Bassin Minier, expert de ces édifices à préserver…

 

En tant qu’architecte urbaniste, quel est votre rôle au sein de la Mission Bassin Minier ?

 

Raphaël Alessandri : Mon rôle est globalement de contribuer à la préservation des édifices marquants de l’époque industrielle de notre région. J'ai, par exemple, beaucoup travaillé sur l'élaboration du dossier de candidature à l'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, notamment sur les sujets liés à l'architecture, l'aménagement, les paysages et l'urbanisme.

Je m'investis également beaucoup sur le projet "L'engagement pour le renouveau du Bassin minier" qui prévoit la rénovation des cités minières (23 000 logements). Il s'agit de concilier protection du patrimoine, amélioration du confort, rénovation des espaces publics, enjeux sociaux… à une grande échelle.

Parmi mes autres missions, je travaille sur les sites en danger, notamment les chevalements en béton, qui sont inscrits sur la liste des éléments du patrimoine mondial, mais qui sont parfois plus ou moins en bon état.

 

Historiquement et techniquement, quelle était la fonction de ces chevalements ?

 

Raphaël Alessandri : Le chevalement était un élément très important de l’extraction du charbon des mines. Sa structure est composée d'une molette dans laquelle s'enroule un câble qui peut descendre jusqu'à 1 000 mètres. Des machines permettent d'entraîner le câble. Le chevalement fait donc le lien entre la machine d'entraînement et le puits. Il est au droit du puits. On trouvait généralement deux chevalements et deux puits dans les fosses, puisqu'il y avait souvent un puit d'aérage.

 

« Lors de la reconstruction, le béton a été choisi pour sa rapidité d'exécution, pour ses propriétés mécaniques et sa capacité de bien travailler en compression »

 

Dans quelles conditions les chevalements en béton ont-ils été construits ?

 

Raphaël Alessandri : Ils sont apparus après la Première Guerre mondiale, lors de laquelle la région a connu de très nombreuses démolitions. En partant, les soldats Allemands ont systématiquement démoli et ennoyé toutes les fosses. Initialement, les premiers chevalements étaient en bois, puis en métal. Mais lors de la reconstruction à l'issue de la guerre, le béton commençait à faire ses preuves. Il s'agissait en l'occurrence de béton armé, qui a surtout été choisi pour sa rapidité d'exécution, pour ses propriétés mécaniques et sa capacité de bien travailler en compression. Charles Tournay notamment, un ingénieur architecte Belge, avait mis au point un nouveau système de fabrication. C'est lui qui a conçu le chevalement en béton d'Anhiers par exemple, qui a été un modèle.

 

 

Combien reste-t-il de chevalements en béton aujourd'hui ?

 

Raphaël Alessandri : Il en reste 4 :

  • Le chevalement situé à Bénifontaine appartient à la commune. Nous venons de missionner un architecte du patrimoine afin d'établir un diagnostic architectural et sanitaire, notamment sur l'état des bétons, qui sont en état correct mais extrêmement fins, avec des mises en œuvre très particulières.
  • À Anhiers, un propriétaire privé a récemment racheté le terrain. Nous l'aidons d'un point de vue administratif, et nous avons créé une souscription avec la Fondation du Patrimoine. Nous avions mené une étude architecturale et sanitaire avant qu'il ne rachète, étude qui l'avait plutôt rassuré.
  • Sur Valenciennes, le chevalement Dutemple, propriété de la commune, protégé et mis en lumière, est un élément symbolique pour les riverains du quartier.
  • À Haisne-lès-la-Bassée enfin, le chevalement est en assez mauvais état. Il appartient à un propriétaire Néerlandais, et la gestion du bien est plutôt complexe.

 

« À travers l’inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, il y a un engagement collectif à tout mettre en œuvre pour les protéger »

 

Comment sont-ils entretenus aujourd'hui ?

 

Raphaël Alessandri : L'établissement public foncier a mené une campagne de protection et de rénovation des chevalements dans les années 1990. Le chevalement Dutemple et la fosse de Bénifontaine ont alors fait l'objet d'une rénovation. Cela fait maintenant 30 ans, donc nous savons qu'il faut surveiller qu'il n'y ait pas de carbonatation (acide formé par l’action du CO² de l'atmosphère, diffusé sous forme gazeuse dans les pores du béton). En revanche, le chevalement d'Anhiers est dans un état plus critique. Il faudra certainement protéger les fers pour éviter qu'ils rouillent et éclatent. Ce sont les maladies classiques des bétons de l’époque.

 

L'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO oblige-t-elle les propriétaires à la préservation de leur bien ?

 

Raphaël Alessandri : Les situations sont diverses. Parmi les 353 éléments inscrits, certains sont protégés au titre du code du patrimoine ou de l’environnement, c’est le cas des chevalements. En cas de travaux, le propriétaire est alors tenu de respecter une procédure en soumettant par exemple son projet à l’avis de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) ou à celui des Architectes des Bâtiments de France. Dans d’autres cas comme celui des cités minières, le bailleur social a signé une charte avec l’État et la Mission Bassin Minier pour concilier les rénovations avec la nécessaire préservation des qualités patrimoniales des logements. L'inscription d’un site au patrimoine mondial n'ajoute pas une couche de protection supplémentaire, mais à travers cette inscription, il y a un engagement collectif vis-à-vis du Comité du patrimoine mondial à tout mettre en œuvre pour le protéger.

 

« Les chevalements symbolisent la relation avec le sol et le sous-sol… »

 

Aujourd'hui, quel rôle tiennent encore les chevalements dans le patrimoine du bassin minier ?

 

Raphaël Alessandri : Avec les terrils, ce sont des éléments très symboliques, totémiques. Les chevalements symbolisent la relation avec le sol et le sous-sol. Ce sont aussi des infrastructures qu'on voit dans le paysage, surtout dans un pays plat puisqu'ils peuvent s'élever à 20 ou 30 mètres. Il n'en reste que 21, dont 4 en béton, donc on y tient énormément.

 

Comment les hommes et les femmes du territoire, qui pour certains sont encore directement connectés à l'histoire de la mine, sont associés aux actions de la Mission ?

 

Raphaël Alessandri : Pendant toute l'élaboration du dossier d'inscription, de 2003 à 2010, il y a eu des "Clubs Bassin minier uni", montés à l'initiative des habitants. Aujourd'hui, l'association se fait à travers les projets : projets de médiation, de sensibilisation, de rénovation… La dimension patrimoniale peut être évoquée, auquel cas la Mission intervient. Les réseaux sociaux créent aussi du lien. La question de l'appropriation de l'inscription est un travail au long cours.

 

 

« La meilleure façon de préserver les cités minières, c'est de donner aux gens l'envie d'y habiter »

 

Comment appréhende-t-on en 2023 la préservation d'un patrimoine qui a fait vivre une région, mais a aussi abîmé des hommes et des femmes avec des conditions de travail très difficiles ?

 

Raphaël Alessandri : Le Bassin minier a une valeur universelle exceptionnelle, et mérite à ce titre d'être inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ce n'est pas nier la réalité, c'est reconnaître que le Bassin minier a joué un rôle à l'échelle mondiale, selon des critères objectifs :

  • Un lieu éminent pour des échanges sur les techniques et savoir-faire sur l'exploitation des filons charbonniers, et sur la façon de concevoir l'habitat ouvrier. Le Bassin minier est un livre ouvert sur 150 ans d'évolution de cet habitat.
  • Un territoire qui symbolise l'impact de l'industrie extractive sur le paysage, avec des aspects positifs et moins positifs.
  • La place du Bassin minier dans l'Histoire, et notamment l'émergence du syndicalisme et du socialisme, et sa place dans les innovations liées à la dangerosité au travail.

Oui, il y a eu de la souffrance, il y a eu la silicose. L'inscription au patrimoine mondial ne nie rien de tout cela. La convention du patrimoine mondial concerne le patrimoine tangible : on inscrit de la matière, dont les traces sont authentiques et intègres.

 

Est-ce que préserver, c'est conserver en l'état, ou faire évoluer ?

 

Raphaël Alessandri : On est dans un paysage culturel évolutif et vivant, donc cela dépend de l'objet. La meilleure façon de préserver les cités minières, c'est de donner aux gens l'envie d'y habiter. Certains autres éléments ne peuvent être réutilisés, de petits chevalements par exemple. On a alors envie de les restaurer, comme des témoins du passé. L'essentiel est de trouver un programme conforme avec ce que peut accepter le bâtiment. Il faut protéger mais aussi mettre en projet, trouver de nouveaux usages, faire vivre.

 

 

Quelle fonction trouver à un chevalement ?

 

Raphaël Alessandri : Leur fonction est historique et totémique, ils sont un témoignage, un média pour raconter une histoire. Ces éléments exceptionnels se suffisent à eux-mêmes. On a envie de les préserver pour ce qu'ils sont.

 


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