A Montpellier, le nom Antigone ne rime pas avec la mythologie grecque et les larmes de cette tragédie, mais il résonne comme un quartier chic, moderne et incontournable de la cité héraultaise. Audacieux, futuriste et ambitieux, le projet imaginé par l’architecte espagnol Ricardo Bofill n’a jamais laissé personne de marbre. Et pour cause ! Focus sur un site où l’architecture a su se réinventer…
Né en 1939 à Barcelone, Ricardo Bofill est une figure emblématique de l’architecture humaniste, qui a développé avec son agence La Fabrica, des projets imaginant les villes de demain aux quatre coins du globe. A la fin des années 70, c’est cette vision qui a séduit les équipes de la mairie de Montpellier pour donner corps à un tout nouveau quartier de la ville : Antigone.
Le projet de Ricardo Bofill est alors d’allier passé et présent, tradition et modernité, tout en donnant des espaces de vie à toutes les couches de la population. Ces différentes réalisations en France en sont les témoins : les espaces d’Abraxas à l’est de Paris, les Arcs du lac à St-Quentin-en-Yvelines.
Le futur site d’Antigone est alors un ancien champ de manœuvres de l’Armée et Bofill imagine une succession inédite d’espaces en béton pour faire avancer le cœur de la ville jusqu’à la Mer tout en mixant socialement et intelligemment les Montpelliérains. Dans cet objectif très précis de conquête de territoires, Bofill y voit une formidable opportunité pour laisser libre cours à son imagination, son idéalisme et sa passion pour l’Antiquité gréco-romaine dans cette ville méditerranéenne. Une seule contrainte qui doit être au cœur-même du projet : se réapproprier le cours du Lez qui doit donner la mesure des constructions et qui serpente jusqu’à la mer...
Ricardo Bofill, architecte du quartier Antigone à Montpellier
Réaménager les anciens champs de l’armée a commencé à devenir une priorité locale dès les années 70. Bofill s’y est attelé dès la fin de la décennie en réfléchissant au projet de manière globale de façon à relier la ville jusqu’au Lez. Preuve en est, le maire de l’époque, Georges Frêche avait pour habitude de dire que la ville ne bougeait plus vers l’Est depuis 1522 ! C’est dire si l’envie de s’agrandir devenait pressante…
Bofill propose alors de concevoir de larges espaces publics et un habitat organisé autour de places successives, depuis celle du Nombre d’Or et jusqu’à l’Esplanade de l’Europe et son amphithéâtre de verdure. Et le quartier Antigone est alors agencé en escaliers jusqu’à la mer, ou plus précisément jusqu’à l’Hôtel de Région. Et même si le social est au cœur du projet, il voit grand avec une architecture gréco-romaine qui ramène aux racines de la ville. Avec un tel projet, l’enjeu de la construction et des matériaux était donc prépondérant.
Le choix du matériau pour ces futurs Champs-Élysées montpelliérains est tranché assez rapidement par les équipes car il doit apporter un côté poli, majestueux tout en étant capable d’être moulé et de refléter la lumière. A l’époque, Ricardo Bofill a déjà utilisé le béton architectonique qui est aussi innovant que particulièrement adapté pour le projet d’Antigone du fait de sa granularité et de son esthétique. Denis Rey était directeur de l'Union Régionale des Organismes d'HLM du Languedoc-Roussillon, cadre aux services de l’Urbanisme de la mairie de Montpellier et est un expert de la construction. Il a suivi ce chantier titanesque et tient à souligner la prouesse permise par le matériau.
« Le béton employé pour construire ce quartier avait des caractéristiques très intéressantes et uniques pour ce type d’ouvrage. Elles permettaient de réaliser le fameux nombre d’or, cher aux architectes (la proportion idéale pour construire un bâtiment) ! En effet, avec ce type de béton les acrotères (parties supérieures des immeubles) peuvent être en surplomb et apparaître comme en équilibre. Ce qui est très impressionnant et donne un caractère tout particulier à l’ouvrage. » Et Denis Rey d’ajouter que ce choix de matériau était avant-gardiste. « Ce béton était aussi l’un des plus performants en termes de durabilité, c’est-à-dire moins de déchets à gérer et moins susceptible d’être altéré par la pollution. C’est pour cette raison qu’Antigone reste un modèle du genre dans la région et au niveau national. »
Avec ce béton architectonique, il est ainsi aisé de créer ce que l’on veut, des formes préfabriquées comme moulées. Teinté dans la masse (une vraie performance des entreprises qui ont travaillé sur le chantier pour la formulation et la mise en œuvre), Bofill et ses pairs ont pu ainsi lui donner des teintes rosées ou grisées pour mieux coller à l’Antiquité. Ce nouveau quartier sera donc orné de colonnes néo-classiques toutes plus hautes les unes que les autres, de statues, de pilastres, de frontons et même d’un amphithéâtre car quitte à avoir le beau, autant avoir aussi la Nature dans sa splendeur. L’ambition de la mixité sociale est alors en miroir avec la mixité de la pierre et de la verdure. Clou du spectacle vu du ciel : l’apparence d’Antigone rappellerait l’église de Todi à croix grecque. Inauguré en 1984, le quartier d’Antigone n’a jamais cessé de faire parler et de d’impressionner par son audace architecturale.