« Si la France est la 1ère destination touristique mondiale, c’est grâce à sa richesse géologique »

« Si la France est la 1ère destination touristique mondiale, c’est grâce à sa richesse géologique »

On a la chance en France d’avoir une extraordinaire géodiversité ! La majorité d’entre nous l’ignore, mais le sous-sol de la France est un trésor composé d’une impressionnante variété de roches qui se sont formées pendant des centaines, des milliers ou des millions d’années et qui ont façonné les paysages dont on profite aujourd’hui. Marbre, granite, calcaire… Ces noms nous sont familiers et on en voit les applications notamment dans la construction, mais d’où viennent-ils et comment sont-ils apparus ? Nous avons posé ces questions, et bien d’autres, à Anne-Sophie Serrand et Nicolas Charles, géologues des ressources minérales au BRGM (Service géologique national), l’établissement public spécialisé en géologie et en connaissance du sous-sol. Une plongée passionnante dans les profondeurs de l’univers rocheux…

 

  

Anne-Sophie Serrand et Nicolas Charles, géologues des ressources minérales au BRGM (Service géologique national)

Commençons par une définition, qu’est-ce que la géologie ?

Nicolas Charles : Étymologiquement, la géologie signifie les sciences de la terre. Ce sont les recherches au-delà de faune et de la flore, qui ne constituent, qu’une partie de la nature qui nous entoure. Concrètement ce sont les roches et les minéraux. On parle ainsi de géodiversité et de géosciences au sens large. C’est un domaine qui est assez peu connu du grand public, et que l’on résume trop souvent aux volcans et aux dinosaures. Or ses implications ont beaucoup de répercussions sur notre vie quotidienne ! Cela va de l’utilisation des matières premières pour la production des objets ou les constructions de notre quotidien, jusqu’à l’eau que l’on boit et qui, en France, vient pour 2/3 du sous-sol.

 

Quand on parle de richesses géologiques de la France, à quoi fait-on référence ?

Anne-Sophie Serrand : La première chose qui me vient en tête, c’est la richesse de nos paysages. Par exemple, dans le Lot ou la Dordogne, on va avoir des paysages de Causses avec des formations calcaires. Si on part en Bretagne, on va découvrir le granite rose de Ploumanac’h, puis les falaises de craie d’Étretat en Normandie, …. C’est cette richesse géologique qui façonne les reliefs, les côtes, les plaines, les montagnes, et bien sûr, toutes les variations de couleurs et de biodiversité qui en découlent. La France bénéficie d’une très grande diversité géologique, c’est visible par tous et c’est gratuit !

Nicolas Charles : Oui, tout à fait, C’est effectivement par le prisme des paysages qu’il faut analyser cette richesse. Le fait que la France soit la première destination touristique mondiale n’est pas un hasard. Sur une petite surface, à l’échelle de la planète, nous avons un condensé de diversité géologique, ce qui est assez rare dans le monde.

 

« La France est divisée en 2 grandes parties géologiques : les bassins sédimentaires (parisien, aquitain, vallée du Rhône) et les zones montagneuses ou de socle ancien (Massifs Central et Armoricain, Vosges, Jura, Alpes et Pyrénées) »

 

A quoi ressemble, la carte de France de la géologie ?

Anne-Sophie Serrand : Classiquement, on divise la France en deux grandes parties. Il y a les grands bassins sédimentaires : Bassin parisien, Bassin d’Aquitaine, Bassin du sud-est… Ce sont typiquement des grandes plaines et plateaux, à l’image de la Beauce. Ensuite, il y a les zones de socle et montagneuses, avec plus de relief, exhibant des terrains plus tourmentés avec des plis, des failles et des roches plus ou moins anciennes. On désigne ainsi principalement le Massif central et le Massif armoricain ou encore les Vosges, le Jura, les Alpes et les Pyrénées. Il faut d’ailleurs savoir qu’il y a 350 millions d’années le Massif armoricain était aussi haut que l’Everest ! C’est le temps et l’érosion qui ont depuis façonné la Bretagne telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Nicolas Charles : Cette carte se traduit par des types de ressources et par des gisements différents selon les zones. Et si l’on va plus loin, ils dessinent l’origine des matériaux qui ont servi à construire les villes. Par exemple, la majorité des pierres ornementales utilisées pour les monuments de France, 70 à 80%, sont d’origine sédimentaire, et proviennent donc des bassins sédimentaires, anciens ou très anciens. Dans la région parisienne, on exploite toujours le gypse qui est la matière première pour fabriquer le plâtre.

Habitations troglodytes creusées dans le tuffeau de Touraine (Saumur-Champigny, Maine-et-Loire). © François Michel – BRGM

 

Justement, si l’on s’intéresse plus précisément aux pierres destinées à la construction, quelles sont celles qui sont, ou ont été, particulièrement utilisées ?

Nicolas Charles : Pour donner quelques exemples, si on reste à Paris, il y a la célèbre pierre du Lutétien, c’est la pierre de la cathédrale de Notre-Dame. Elle a des propriétés esthétiques mais aussi géotechniques particulières adaptées aux bâtiments. Il y a aussi le tuffeau de Touraine. C’est une roche très fine en grain, particulièrement adaptée au ciselage pour l’ornementation. Elle n’est plus exploitée mais c’est la pierre emblématique des châteaux de la Loire.

En Bretagne, on sera plutôt sur des exploitations de granite. Le plus connu, c’est le granite de Ploumanac’h qui a des qualités esthétiques évidentes et une résistance remarquable. Il a souvent été utilisé pour la base des grands phares pour lesquels il peut aussi y avoir des élévations en pierre calcaire. On retrouve aussi ce granite résistant dans certains monuments célèbres comme le Mémorial Charles de Gaulle de Colombey-les-Deux-Églises. Le Fort-Boyard a également, comme les phares, une base en granite, celui extrait sur l’île Chausey.

Anne-Sophie Serrand : En partant au sud de la France, il faut évoquer les marbres des Pyrénées, comme ceux de la vallée de Saint-Béat. Il y a aussi les marbres du Minervois et des Corbières, des marbres rouges de couleur griotte. Certains ont été utilisés à la Maison Blanche à Washington ou encore à Versailles.

Et puis, on peut aussi citer des pierres calcaires plus récentes d’un point de vue géologique comme la pierre du Midi qui a servi à la construction de l’emblématique Pont du Gard.

Vue de la carrière de Pierre du Midi d’Estaillade dans le Lubéron (Opède, Vaucluse, 2002) – ©François Michel - BRGM

 

 

« Pour bâtir, l’Homme a dû comprendre la richesse géologique, générations après générations, depuis  des milliers d’années »

 

Cette diversité de pierres, de matériaux, aux propriétés souvent très différentes, est le fruit d’une longue histoire géologique. Quels sont les phénomènes qui ont été à l’œuvre ?

Nicolas Charles : Ce qu’il faut comprendre, c’est que chaque minerai, chaque roche, a son histoire propre, qui est très longue à notre échelle de temps. C’est le résultat d’une réaction chimique entre plusieurs ingrédients. Par exemple, les calcaires se sont formés majoritairement dans les milieux aquatiques, au fond des mers ou dans les lacs, par accumulation d’éléments microscopiques (coquilles ou squelettes d’animaux marins, précipitation chimique) ayant abouti à la formation de roche. Et chaque roche va avoir sa spécificité. Prenons la bauxite. Ce minerai qui sert à la production d’aluminium ou qui entre dans certains ciments a longtemps été exploité dans le sud de la France. Il s’est formé au Crétacé, il y a environ 100 millions d’années, sous un climat tropical. Il est le résultat de l’altération d’une roche alumineuse sous un climat tropical, dont les produits d’érosion se sont retrouvés transportés et piégés dans des poches au sein de roches calcaires.

Anne-Sophie Serrand : L’exemple des marbres est aussi intéressant. Ce sont des roches qui à l’origine sont des calcaires qui ont été métamorphisés, transformés sous l’effet de la température et de la pression souterraines.

Vue d’ensemble de la carrière de calcaire marbrier à Comblanchien (Côte d’Or, 2012) ©BRGM

Dans ce foisonnement de roches, comment l’Homme a domestiqué cette diversité et en a trouvé les usages dans la construction ?

Nicolas Charles : Pour bâtir, l’Homme a effectivement dû comprendre cette richesse et, générations après générations depuis des milliers d’années, il a testé les propriétés, notamment mécaniques, des matériaux qu’il avait à disposition. Aujourd’hui ce que l’on sait, c’est qu’il y a 3 grandes familles de roches : sédimentaires (les sédiments, sables, argiles ou boues carbonatéesse compactent pour devenir solides), magmatiques (les roches en fusion se sont refroidies et solidifiées en surface ou en profondeur) et métamorphiques (transformation de roches préexistantes sous l’effet de la pression et de la température). Chacune d’entre elles va apporter des bénéfices différents : dureté, résistance à la déformation, porosité, résistance au gel, rendu esthétique du poli, etc. Aujourd’hui, on sait de mieux en mieux de quels matériaux l’industrie de la construction a besoin, mais les recherches se poursuivent, notamment dans les sciences des matériaux !

 

« Dire qu’en France, on a déjà tout exploité, c’est complètement faux ! »

 

L’activité d’extraction de roches et de matériaux est donc prépondérante…

Anne-Sophie Serrand : Oui bien sûr. On peut dire qu’il y a aujourd’hui environ 3 600 carrières actives en France métropolitaine qui exploitent différentes ressources et différents gisements indispensables pour alimenter les industries. Au BRGM, en tant que service géologique national, nous maintenons à jour la base de données de l’ensemble des carrières de l’Hexagone et nous avons un rôle d’appui auprès des carriers qui peuvent faire appel à nous pour mieux caractériser leurs ressources, chercher de possibles co-produits, améliorer leurs procédés de traitement ou encore chercher de nouveaux gisements par exemple.

 

En France, où en est-on de la ressource et quel est l’état des gisements ?

Nicolas Charles  Dire qu’en France, on a déjà tout exploité, c’est complètement faux ! La principale difficulté aujourd’hui, ce n’est pas un souci de potentiel en termes de géologie, mais c’est plutôt un verrou sociétal. Il est de plus en plus difficile d’ouvrir de nouvelles carrières. Au-delà des contraintes environnementales, qui sont évidemment justifiées et nécessaires, il y a parfois une forte opposition qui freine cette activité qui est pourtant essentielle à la société et qui travaille en circuits courts car les matériaux sont le plus souvent utilisés dans la région d’extraction.

 

« Nous militions pour qu’à la fin de l’exploitation des carrières, soient conservées des zones d’observation des roches »

 

Est-ce un problème de compréhension des enjeux ?

Anne-Sophie Serrand : Il est certain que toute la filière doit faire œuvre de pédagogie pour faire comprendre aux élus et au grand public la nécessité de travailler nos sous-sols et d’exploiter une ressource qui est locale. D’ailleurs, le secteur a fait d’énormes progrès. Les bonnes pratiques sont majoritairement intégrées chez les professionnels des carrières. Ils s’adressent à toutes les parties prenantes à travers des réunions d’information, des ateliers de visite, des portes ouvertes pour faire découvrir leurs métiers, pour expliquer qu’on n’exploite pas ces ressources par plaisir mais parce qu’il y a des besoins, des usages, des consommateurs. Cela représente toute une économie pour les territoires. Et cette activité fait aussi partie intégrante de notre richesse géologique.

Les ocres de Roussillon (Vaucluse). © BRGM – Marylène Imbault

Quel rôle jouent les carrières pour des géologues comme vous ?

Nicolas Charles : Le rôle des carrières est très important car dans beaucoup de régions, notamment en plaine où il y a peu d’affleurements rocheux, les carrières sont les seules fenêtres d’observation du sous-sol ! Or, comme on le disait au départ, les roches et la géodiversité sont un maillon-clé de la compréhension de l’histoire de notre planète et ils constituent une grande richesse scientifique. Un inventaire national est en cours de réalisation afin de recenser les sites d’intérêt géologique et bien souvent, ce sont des carrières ! Nous militons d’ailleurs pour que dans le cadre des réaménagements à la fin de l’exploitation des sites, soient conservées des zones d’observation des roches. C’est un enjeu important pour sensibiliser les enfants et le grand public alors que le géotourisme est en plein essor en France ! 

Pour poursuivre l’immersion dans le domaine de la géologie et des ressources minérales, rendez-vous sur MineralInfo, le site d’information sur les ressources minérales en France, co-édité par le BRGM et le Ministère de la Transition écologique.

 


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